Nina Childress

La haine de la peinture

2009
Huile sur toile, 81 x 60 cm
Collection FRAC Limousin (Inv. : 200938)
© Adagp, Paris / Photo : Freddy Le Saux

Childress Cette rubrique aurait dû faire écho à la grande exposition « Lobody Noves Me » de Nina Childress actuellement accrochée à la Fondation Ricard (Paris) et qui réouvrira sous peu, certainement.

Remontons un peu plus de dix années en arrière. Au printemps 2009, s ‘ouvrait aux Coopérateurs une exposition de Nina Childress intitulée « la haine de la peinture »(1), tentative de rétrospective articulée autour d’un ensemble de soixante œuvres de différentes époques réunies pour montrer le parcours de l’artiste depuis les années 1980. Peintures punk des années 1980, peintures d’objets, tableaux de tableaux, paysages, portraits, scènes d’intérieur, œuvres géométriques, expériences optiques, la diversité des approches permettait à la fois de suivre l’évolution de l’artiste et ses obsessions récurentes.
L’exposition s’articulait autour d’un très important ensemble sur lequel Nina avait travaillé toute l’année 2008, le « Tombeau de Simone de Beauvoir ». Contactée l’année précédente pour participer à La Force de l’art, l’artiste s’était lancée à corps perdu dans la réalisation d’un ample cycle d’œuvres autour de la personnalité et de l’image publique de la célèbre femme de lettres féministe. A partir de coupures de presse et de recherches documentaires, Nina réalisa ce qu’on réserve d’habitude à la poésie ou à la musique, un tombeau (2), soit un ensemble cohérent mais cependant varié, précisément mis en scène, comprenant un ensemble de tableaux – dont un dégrafé de son chassis et roulé en boule au sol - et des éléments formant une véritable installation monumentale : moquette peinte, papier peint, des sculptures et reliefs peints.
Parmi les différentes œuvres de cet ensemble, une toile de format moyen, « la haine de la peinture », intégra les collections du FRAC à l’issue de l’exposition.(3) Il s’agit d’une œuvre préparatoire, d’une esquisse peinte à l’huile qui servit de modèle à l’artiste pour en réaliser une autre portant le même titre, mais aux dimensions beaucoup plus importantes. Les deux tableaux furent d’ailleurs présentés à proximité dans l’exposition et permettaient la comparaison (4).
Le tableau qui nous occupe est très précisément structuré. Il s’agit d’une scène d’atelier.
Au premier plan, la scène se répartit autour de la palette de l’artiste, au centre, qui avec la peintre elle-même, à gauche, et le tableau sur lequel elle travaille, à droite, forment un triangle très scénographié. Au centre de ce triangle qui est aussi le milieu du tableau, la silhouette rouge et jaune d’un personnage en pied se dresse sur la palette, la tête recouverte d’une forme blanche souple et opaque. Il s’agit d’une scène mise en images à partir de différents éléments puisés dans un répertoire iconographique précis.
La scène d’atelier s’appuie sur un tableau peint par Hélène de Beauvoir, sœur cadette de Simone, en 1935-36, intitulé « Simone de Beauvoir jeune avec un de ses carnets ». Ce tableau montre l’écrivaine en chemisier jaune et lavalière, assise à son bureau, devant un mur orné de tableaux.
La peinture est sur un chevalet au moment où Hélène est en passe de l’achever dans un environnement d’atelier dont certaines parties sembles griffées, à la manière de ceux peints dans les années 1940 par Francis Gruber. Nina enseigne a l’époque à Nancy dont le musée possède plusieurs tableaux du peintre « misérabiliste » mort très jeune qui l’ont beaucoup impressionnée. Le fond de la scène est une synthèse de plusieurs vues d’atelier de l’artiste nancéen. On y voit le fameux escalier ici mis au centre, les poutres et chassis empilés caractéristiques des tableaux de ce peintre « misérabiliste » très connu avant guerre, puis tombé dans l’oubli, avant d’être redécouvert récemment.(5)
Hélène apparaît effondrée, verdâtre et la mine totalement défaite, au moment précis où elle achève le portrait de sa soeur aînée. La silhouette rouge dressée sur la palette parmi les colombins de pâte colorée, rouge, blanc, jaune, étouffe sous un sac en plastique blanc éclatant. Cet élément central du tableau paraît particulièrement incongru, mais c’est une clé importante dans l’écheveau de ses sources. Ce détail curieux renvoie au suicide par asphyxie de Bernard Buffet en 1999. Nina fut sidérée quand elle en prit connaissance. Comment en effet comprendre cette mise en scène de sa propre mort par ce peintre très populaire en France et dans le monde entier, adulé au Japon et par Andy Warhol, et cependant toujours mal aimé par la critique ? La version qu’en propose Nina est ici parodique, théâtrale et débridée, mais pourtant adoucie. Le sac noir imprimé de sa signature utilisé par Buffet est ici devenu blanc et anonyme. Un geste de pudeur ?
La silhouette est vêtue d’une ensemble gilet et pantalon rouge, tenue fétiche de Simone, sur le même chemisier jaune et lavalière que dans le portrait peint. Simone est peinte érigée et étouffante, dans une posture aussi ambiguë que les relations conflictuelles entre les deux sœurs. Arrogante et étouffante, Simone a le bras long, c’est une femme influente, tellement long qu’elle semble vouloir étrangler Hélène.
On comprend donc ici que différents emprunts biographiques et stylistiques sont enchevêtrés, jusqu’à rendre plausible une histoire intime complexe. Les différents régimes expressionnistes de ce tableau sont au service d’une exploration des doutes d’Hélène – dans une version tragicomique totalement assumée – et par procuration, évoquent aussi les doutes de Nina. L’année suivante, dans un texte intitulé l’effet Sissi, une autre personnalité qu’elle aura tenté de circonscrire peu après, elle écrit :
« Ma manière de peindre dépend du format, du sujet, de l’approche…Elle va d’un photo-réalisme relâché à un expressionnisme de circonstance. Le questionnement sur le style en peinture rejoint pour moi l’énigme biographique. Quelle est la juste représentation ? Quelles sont les limites du réalisme ? Où se niche une forme de vérité ? » (6).

Yannick Miloux.

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